Henri Vever – La bijouterie française au XIXe siècle

Henri Vever (1854 – 1942), était un bijoutier-joaillier spécialiste de l’art nouveau.

Collectionneur de bijoux français, mais aussi historien, il a rédigé La bijouterie française au XIXe siècle (1800-1900) qui a été publié par H. Floury en 1908. En trois tomes, cet ouvrage réputé retrace l’histoire du bijou pendant cette période; il étudie l’évolution de celui-ci et les modes qui ont prévalu dans ce domaine chez les souveraines, les actrices, les femmes célèbres et les bourgeoises ainsi que dans les milieux populaires.

On trouvera ci-après des extraits de ce livre et des photos touchant les différents membres de la famille qui ont œuvré dans le domaine et leurs associés : les Baugrand, Gaime, Jarry, Linzeler, Marchand, Marret… On remarquera également, au fil de ces citations, que les Établissements Marret ont joué un rôle essentiel dans la formation de nombreux artisans de la bijouterie.

        


Édouard Marchand mourut vers 1867, âgé de 76 ans environ. Son fils, Eugène Marchand, beaucoup moins connu, fut également bijoutier et s’occupa de la succursale que la maison Marret frères avait installée à New-York.


[…] Marret, rue Vivienne, 16, maison importante et bien connue, qui, entre autres objets, avait envoyé à l’Exposition de 1839, où une médaille d’honneur lui fut décernée, un « magnifique diadème ou guirlande de fleurs en brillants, servant de coiffure et se démontant par branches à volonté ».


Mentionnons, parmi les exposants récompensés : […] Marret frères et Jarry avaient exposé, entre autres, une belle parure de corsage rubis et brillants; […] À la vitrine de Marret et Baugrand, le rapporteur donne les éloges suivants : « jolie joaillerie, guirlande de bluets d’un très beau travail, ornement de tête, collier perles noires, rubans de bon goût, ombrelle perles noires, travail fin, simple et très élégant ».


La collection Campana eut sur le bijou une influence directe et immédiate, car à peine avait-on pu l’entrevoir en 1861, avant même l’inauguration officielle, que déjà les bijoutiers en subissaient le charme et cherchaient à en tirer parti. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir le rapport de Fossin sur l’exposition de Londres, en 1862. Il cite : « […] Marret et Baugrand : diadème en diamants d’un dessin étrusque pur de lignes, joli de silhouette, léger d’aspect, sans manquer d’une certaine sévérité, et qui peut servir au besoin de collier…


La maison prit alors une nouvelle extension, qui s’augmenta encore en 1849, lorsque M. Prosper Peck (1821-1899), son beau-frère, ancien apprenti de Marret et Jarry, s’associa avec Caillot père et fils, après avoir été quelque temps établi seul.


Gustave Baugrand (1826-1870), dont le père, Victor Baugrand (1803-1872), avait été d’abord sertisseur, puis joaillier, est une des personnalités qui ont le plus contribué à l’évolution de la bijouterie et de la joaillerie sous Napoléon III. D’une intelligence très vive et d’une nature entreprenante et active, Baugrand avait un goût très raffiné et très sûr. Il était constamment à la recherche de modèles ayant un caractère de nouveauté. De plus, bien qu’ayant lui-même un atelier bien stylé,  il savait s’assurer la collaboration des plus habiles dessinateurs et des meilleurs fabricants. Il débuta comme joaillier en 1852, associé avec Paul Marret, neveu de Charles Marret, qui avait repris en 1835 la maison Gloria, établie rue de la Paix depuis 1820.  À la suite de la mort de Charles Marret (1846), cette maison avait été exploitée, d’abord par sa veuve et son neveu réunis, puis par Paul Marret seul. Un an après son association avec Baugrand, Paul Marret tomba malade au cours d’un voyage d’affaires à La Havane et mourut à New-York à la fin de 1853. Baugrand continua à diriger la maison de Marret et Baugrand avec la veuve de Paul Marret jusqu’au moment où, se remariant avec Victor Villain, sculpteur de talent[i], elle laissa Baugrand seul propriétaire de la maison, qui lui donna à ce moment une impulsion considérable.  Fournisseur de l’Empereur, il exécuta, pour les Tuileries et pour les personnages de la Cour, de nombreux et élégants bijoux. On peut dire qu’il fut en quelque sorte le Boucheron de son temps. Sa mort prématurée, survenue pendant le siège de Paris, laissa sa maison sans titulaire; elle fut rachetée par E. Vever, ainsi que nous le verrons plus loin.

L’exposition remarquable de Baugrand en 1867 lui valut la croix de la Légion d’honneur.

[i] Victor Villain est l’auteur d’une des statues monumentales du pont des Invalides.


Un élève de Joseph Legrand, Victor Heng, mérite aussi d’être cité comme un dessinateur remarquable, qui gravait et dessinait également très bien. Vers 1855, Heng entra chez Marret et Jarry; mais, sur les sollicitations pressantes des principaux joailliers, il abandonna complètement la gravure pour se consacrer exclusivement au dessin de bijouterie.


Nous nous excusons d’avoir peut-être donné un peu trop de développement à ces considérations générales, et nous reprenons notre étude spéciale en continuant, comme nous l’avons fait jusqu’ici, de passer en revue les principales maisons de bijouterie, parmi lesquelles la maison Marret a sa place tout indiquée. Sa réputation datait déjà de loin : nous avons signalé dans notre premier volume qu’en 1810, Bénier et Rondelet avaient fondé, cour des Fontaines nº 1, une fabrique de bijouterie que Bénier transféra, en 1822, 10 rue Vivienne. Quelques années plus tard, en 1826, Bénier s’associa les deux frères Hippolyte et Charles Marret, et la maison prit alors le nom de Bénier et Marret frères jusqu’en 1829, époque à laquelle Bénier se retira complètement.

Les deux frères Marret restèrent, sous la raison sociale Marret frères, puis, en 1834, transportèrent leur maison dans l’ancien hôtel de Colbert, au nº 16, rue Vivienne. C’est alors que Charles Marret se sépara de son frère Hippolyte (qui continua avec Bénier comme commanditaire), pour se rendre acquéreur de la maison Gloria, rue de la Paix, 19, qui prit le nom de son nouveau propriétaire.

Un autre frère, Justin Marret, fabricant d’ordres au Palais-Royal étant mort en 1844, Hippolyte, tout en conservant l’établissement de la rue Vivienne, racheta son fonds et,  quelques années plus tard, en 1849, s’associa les frères Jarry (Eugène et Gustave), dont il avait épousé la sœur en 1832. La raison sociale devint alors Marret et Jarry frères, qui subsista jusqu’en 1858[i].

À la suite de la Révolution de 1848, une succursale fut fondée à New-York; mais après des débuts assez brillants, elle fut liquidée au cours des années 1856-1857 sans avoir eu de successeur.

L’historique de la maison Marret est assez compliqué et difficile à établir, à cause du grand nombre de frères, neveux, beaux-frères, qui y furent associés. De plus, les enfants portaient parfois les prénoms de leur père ou de leur oncle, ce qui prête à confusion. Aussi, pour l’intelligence de ces notes, il nous paraît nécessaire de donner ici, malgré leur aridité, des indications généalogiques précises, ainsi que les raisons sociales successives de cette importante maison qui tint une si belle place dans la bijouterie et la joaillerie du XIXe siècle.

Le chef de la famille, on pourrait presque dire le fondateur de la dynastie, fut Pierre Marret (1764-1857). Il eut cinq enfants, dont quatre fils, qui, tous, furent orfèvres ou joailliers.

1° L’aîné, Auguste Marret, dirigeait une maison d’orfèvrerie quai des Orfèvres; malheureusement, aucune trace n’en subsiste : ni archives, ni tradition, ni documents, ni renseignements d’aucune sorte. Nous savons seulement que Auguste Marret eut un fils unique, Paul Marret († 1853), qui, après lui avoir succédé comme orfèvre d’abord, entra,  au moment du décès de son oncle Charles Marret, en 1847, dans la maison que celui-ci avait reprise, en 1834, à Gloria, rue de la Paix, 19. Il fut associé avec sa tante, restée veuve, et devint ensuite son successeur[ii].

2° Justin Marret (1802-1844), qui succéda comme bijoutier fabricant d’ordres à Peck-Olivier, 119, Palais-Royal.

Il fut le père de MM. Ernest (né en 1835) et Hippolyte (1841) Marret, 2e du nom`

  1. Ernest Marret eut trois fils dont les deux propriétaires actuels de la maison : MM. Charles (1861) et Paul Marret (1863).

3° Ch.-Hippolyte Marret, 1er du nom (1804-1883), qui épousa Mlle Jarry en 1832.

4° Charles Marret (1807-1846), qui eut un fils bijoutier, Alfred (1836-1876). Ces deux frères, Hippolyte et Charles Marret, furent les associés et successeurs de Bénier.

Par ce qui précède, on voit que de Pierre Marret sont issus tous les bijoutiers du nom de Marret. Il s’en trouve dix, auxquels il convient d’ajouter les deux veuves, qui exercèrent aussi la profession; il y eut, en outre, divers associés.

[i] Il existait un Jarry aîné, fabricant bijoutier, rue des Deux-Portes-Saint-Sauveur, dont la spécialité était les faces-à-main, les boucles de ceinture, les pommes de cannes et les articles de fumeurs genre riche et soigné. Il exposa avec succès en 1855 et en 1862, mais il n’était pas allié aux frères Jarry de la maison Marret, et on l’appelait parfois Jarry-Calle, du nom de son prédécesseur.

[ii] Cette maison donna lieu plus tard à l’association Marret et Baugrand

Les Marret ont toujours fait de la belle joaillerie; ils ne cherchaient pas à innover, mais s’appliquaient plutôt à suivre les goûts d’une clientèle sérieuse et riche, qui n’auraient pas admis qu’on changeât ses habitudes. C’était du bijou essentiellement classique et soigné. Un grand nombre d’élèves habiles se formèrent dans leur atelier, tels que : Baucheron, Menu, Auger, Granjean, Hippolyte Martel, qui devinrent à leur tour bijoutiers ou joailliers connus, et Paul Legrand, l’excellent dessinateur de Boucheron, dont nous parlerons plus loin. 

 Les frères Marret ont su maintenir d’une manière constante leur belle réputation. En 1855, la maison obtenait une médaille d’honneur, la plus haute récompense accordée à cette époque. Pour des raisons particulières, elle ne participa pas à l’Exposition de 1867, mais en 1878 elle obtenait une médaille d’or. En 1889, M. Ernest Marret, notre aimable confrère, qui fut président de la Chambre syndicale de la Bijouterie, de 1883 à 1887, était nommé membre du Jury des récompenses et rapporteur de la classe, et recevait bientôt la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Enfin, en 1900, la belle exposition de MM. Charles et Paul Marret leur valut un des grands prix de la section.

 

Le rapporteur de la classe, M. Paul Soufflot, s’exprime ainsi à leur sujet : « MM. Marret frères ont exposé une collection de bijoux en joaillerie, dont le jury a su apprécier les mérites. En 1889, l’exposition de la maison Marret avait été très admirée; mais, depuis cette époque, des progrès très importants, que l’Exposition actuelle a permis de constater, ont été réalisés.

« MM. Marret se sont affirmés par d’heureuses innovations comme genre et forme de bijoux; la légèreté de leurs montures, l’heureuse présentation des pierres au moyen de fils d’acier, qui dissimulent les attaches, sont d’un très bon effet. Une collection de brillants de taille fantaisie, quelques colliers de perles et une série de bijoux moins importants, en art moderne, ciselés et émaillés, ont complété cette exposition.

« Nous citerons aussi une très belle pièce de corsage et de jolis colliers en brillants, qui permettent de juger de la recherche apportée par MM. Marret dans la composition de leurs modèles et des soins donnés à leur exécution. »

 


            


Un ami des Legrand, M. Calmus, alors employé chez Lapar, 2, rue de la Paix, s’intéressait au jeune Paul qu’il avait vu naître, et le fit entrer comme apprenti, en 1855, chez MM. Marret et Jarry, qui le gardèrent pendant trois ans, c’est-à-dire jusqu’à la dissolution de leur société en 1858.


Alfred Menu, né en 1828, entra comme apprenti chez Louis Benoist en 1840. Après être resté dix ans dans cet atelier, il passa huit ans chez Marret et Jarry; puis, en 1862, il fonda rue du Chaume une maison réputée pour son beau travail. Excellent praticien lui-même, Menu recevait des commandes de Marret, Calmus, Baucheron, Daux et d’autres maisons importantes.


Louis Baucheron (1826-1905) entra en apprentissage vers 1840, chez Marret et Jarry, et ne tarda pas, sous la direction de son père, qui y était chef d’atelier, à devenir très habile.Louis Baucheron (1826-1905) entra en apprentissage vers 1840, chez Marret et Jarry, et ne tarda pas, sous la direction de son père, qui y était chef d’atelier, à devenir très habile.


Le nom de Linzeler est estimé depuis longtemps dans la corporation et, coïncidence curieuse, il se trouva trois frères exerçant la même profession. Nous trouvons le premier ainsi désigné dans l’Azur de 1833. « Linzeler aîné, rue Saint-Honoré, 396, orfèvre-joaillier-bijoutier, tient le change des monnaies »; le second, Charles Linzeler, rue de l’Ancienne-Comédie, 5, « joaillier-bijoutier, tient la curiosité »; enfin, le troisième, Eugène Linzeler père, avait fondé en 1840, avec Laurent, rue Coq-Héron, nº 9, une fabrique de « bijoutier-garnisseur » (flacons, nécessaires, etc.).

Ernest Linzeler père (1808-1888) était un graveur-ciseleur, ayant travaillé antérieurement chez Joseph Legrand.  Il était en relation d’affaires suivies avec un bijoutier nommé Chanrolli qui avait une petite boutique, boulevard de la Madeleine, 11. Ce dernier n’ayant pas réussi, Eugène Linzeler, pour rentrer dans l’argent qui lui était dû, reprit, en 1845, la boutique de son débiteur et y transporta sa maison; il ne tarda pas à lui donner plus d’importance en y adjoignant aussi la bijouterie et la joaillerie. Eugène Linzeler père avait épousé la fille d’un M. Laurent, qui n’avait aucun lien de parenté avec son ex-associé, et qui tenait un magasin de cannes et parapluies connu sous le nom de Verdier. Très fréquenté par les élégants, ce magasin, situé d’abord 102, rue Richelieu, fut transféré, vers 1862, boulevard de la Madeleine, à quelques pas de celui de Linzeler.

En 1864, Eugène Linzeler père s’associa ses deux fils aînés : Eugène (1834-1898) et Frédéric (1836), puis, un peu plus tard, son troisième fils, Albert (1844-1907). Le dernier, Georges (1853), dirigea quelque temps la maison avec son frère aîné Eugène, dont il prit ensuite le fils, Ernest (1865), qui devint son associé. Tous deux sont encore aujourd’hui à la tête de cette maison de joaillerie d’une excellente réputation.

Eugène Linzeler père, ainsi du reste que tous les membres de sa famille, fut très apprécié de ses confrères. Trésorier très dévoué de la Chambre syndicale pendant de nombreuses années, il reçut l’honorariat en 1883, au moment où il quitta les affaires; ses fils y remplirent aussi, à plusieurs reprises, les fonctions de secrétaires et de membres du conseil. Frédéric Linzeler, le sympathique vice-président de la Fraternelle, est le père de Robert Linzeler, l’orfèvre érudit, au goût très sûr, dont les productions sont appréciées par une clientèle d’élite.


Objets présentés par la Maison Marret frères à l’Exposition de 1900